III

 

Le plafond de l’hôpital était blanc, comme les murs et les draps. Dehors, à la surface de l’iceberg, tout était blanc aussi. C’était un jour blanc ; une aveuglante lessive de cristaux secs qui tourbillonnaient devant les fenêtres de l’hôpital. Il en était ainsi depuis quatre jours, quatre jours de blizzard, et les gens de la météo n’annonçaient pas d’accalmie avant le surlendemain. Il pensait aux soldats qui, tapis dans les tranchées et les grottes de glace, se refusaient à maudire la tempête hurlante puisque cela signifiait qu’il n’y aurait sans doute pas d’affrontement. Les pilotes aussi devaient se réjouir, mais sans rien laisser paraître ; ceux-là devaient bruyamment maudire la bourrasque qui les empêchait de voler ; une fois consultées les prévisions météo, la plupart d’entre eux avaient sans doute entrepris de se saouler méthodiquement.

Il contempla les fenêtres immaculées. On disait que le spectacle du ciel bleu était bon pour le moral. C’était pour cela qu’on construisait les hôpitaux en surface ; tout le reste était enfoui sous la glace. À l’extérieur, les murs de l’hôpital étaient peints en rouge vif afin de ne pas être pris pour cible par l’aviation ennemie. Il avait vu d’en haut des hôpitaux ennemis disséminés sur la clarté lactescente de l’iceberg comme des gouttes de sang vermillon versées toutes gelées par quelque soldat blessé.

Un tourbillon de blancheur fit une brève apparition derrière l’une des fenêtres : une rafale de neige suivait le mouvement tournant d’un vortex au milieu de la tempête. Il observait attentivement ce chaos précipité derrière les couches de verre en plissant les yeux comme si, par la seule force de la concentration, on pouvait discerner une quelconque structure dans le blizzard informe. Puis il leva la main et toucha le bandage qui lui ceignait la tête.

Il s’efforça – encore une fois – de se souvenir, et ses paupières se fermèrent. Sa main retomba sur les draps, à hauteur de sa poitrine.

— Comment allons-nous aujourd’hui ? s’enquit la petite infirmière qui se matérialisa soudain à son chevet, tenant à la main une chaise basse.

Elle plaça cette dernière entre son lit et le lit voisin, qui demeurait vide, comme les autres lits de la salle : il en était le seul occupant. Il n’y avait pas eu d’assaut important depuis environ un mois.

Elle s’assit. Il lui sourit, heureux de la voir, heureux qu’elle ait le temps de venir lui parler un peu.

— Ça va, répondit-il en hochant la tête. Je ne me rappelle toujours pas ce qui s’est passé.

Elle lissa sur ses cuisses le tissu immaculé de son uniforme.

— Et vos doigts, comment vont-ils aujourd’hui ?

Il leva les deux mains, agita les doigts de la droite, puis inspecta la gauche : les doigts remuaient légèrement. Il fronça les sourcils.

— À peu près pareil, répondit-il d’un ton un peu contrit.

— Vous verrez le docteur cet après-midi ; il vous enverra certainement en kiné.

— C’est la mémoire qu’il faut rééduquer, chez moi, dit-il en fermant brièvement les yeux. Il y a quelque chose d’important dont il faut que je me souvienne, je le sais…

Sa voix s’éteignit. Il se rendit compte qu’il ne se rappelait plus le prénom de l’infirmière.

— Nous ne faisons pas cela ici, sourit-elle. Et chez vous ?

Tout cela s’était déjà produit une fois, non ? N’avait-il pas déjà oublié son nom la veille ? Il sourit.

— Je devrais dire que je ne m’en souviens pas, mais en fait, non, je ne crois pas qu’on fasse cela chez moi.

Déjà la veille, ainsi que l’avant-veille, il n’avait pu se rappeler le nom de l’infirmière ; mais il avait concocté un plan, trouvé une solution…

— Peut-être qu’on n’a pas besoin de ça chez vous, avec l’épaisseur de vos crânes.

Elle souriait toujours. Il rit tout en essayant de se rappeler ce plan qu’il avait inventé. Cela avait un rapport avec l’action de souffler, de respirer, et aussi avec le papier…

— Peut-être, en effet, acquiesça-t-il.

Son crâne épais ; c’était pour cela qu’il était ici. Un crâne épais ; plus épais, ou en tout cas plus résistant qu’ils n’en avaient l’habitude ici. Un crâne costaud qui n’avait pas volé en éclats lorsqu’on lui avait tiré dessus, en pleine tête. (Mais pourquoi, alors qu’à ce moment-là il n’était pas au combat, mais au contraire parmi les siens, ses camarades pilotes ?)

Au lieu de cela, le crâne s’était simplement fracturé ; brisé, certes, mais pas irrémédiablement fracassé…

… Il tourna la tête de côté. Là se trouvait un petit placard de chevet. Un papier plié en deux était posé sur le dessus.

— Ne vous fatiguez pas à essayer de vous rappeler, reprit l’infirmière. Peut-être n’y arriverez-vous jamais ; ça n’a pas tant d’importance que ça. Votre esprit aussi doit guérir, vous savez.

Il l’entendait, il assimilait ce qu’elle disait… mais n’en essayait pas moins de se rappeler ce qu’il s’était dit la veille ; ce petit bout de papier… il devait faire quelque chose avec. Il souffla dessus ; la partie supérieure du papier plié se souleva et il aperçut ce qui était écrit en dessous : TALIBE. Le volet de papier retomba. Il l’avait disposé – il s’en souvenait maintenant – de manière qu’elle ne puisse pas voir l’inscription.

Elle s’appelait Talibe. Bien sûr ; ce nom lui rappelait quelque chose.

— Je suis en train de guérir, annonça-t-il. Mais il y avait quelque chose dont je devais me souvenir, Talibe. C’était important ; j’en suis sûr.

Elle se releva et lui tapota l’épaule.

— N’y pensez plus. Il ne faut pas vous tracasser. Faites donc un petit somme. Vous voulez que je ferme les rideaux ?

— Non. Vous ne pourriez pas rester encore un peu, Talibe ?

— Il vous faut du repos, Chéradénine, fit-elle en lui posant la main sur le front. Je reviendrai bientôt prendre votre température et refaire vos pansements. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, sonnez. (Elle lui tapota la main et s’en alla en emportant la chaise basse. Arrivée à la porte, elle s’arrêta et se retourna.) J’oubliais. Je n’aurais pas laissé une paire de ciseaux ici la dernière fois que j’ai refait vos pansements ?

Il regarda autour de lui et secoua la tête.

— Je ne crois pas.

Talibe haussa les épaules.

— Tant pis.

Elle quitta la salle ; il l’entendit déposer la chaise dans le couloir juste avant que les portes battantes ne se referment.

Il reporta son regard sur la fenêtre.

Si Talibe remportait chaque fois la chaise avec elle, c’était parce qu’il avait complètement perdu la tête la première fois qu’il avait vu l’objet, lorsqu’il s’était réveillé. Et même par la suite, alors que son état mental s’était stabilisé, il se mettait régulièrement à trembler en ouvrant de grands yeux terrorisés si, en s’éveillant le matin, il voyait la chaise à côté de son lit. On avait donc empilé dans un coin, hors de sa vue, toutes les chaises de la salle, et Talibe ou les médecins apportaient avec eux celle du couloir quand ils venaient le voir.

Si seulement il avait pu oublier cela ! Oublier la chaise et le Chaisier, oublier le Staberinde. Pourquoi ce souvenir-là était-il toujours aussi net et précis, après tant d’années, alors qu’il avait parcouru un si long chemin ? Tandis que ce qui lui était arrivé quelques jours plus tôt – on l’avait abattu et laissé pour mort dans le hangar – restait vague et flou, comme vu à travers la tempête de neige.

Il contempla les nuages figés de l’autre côté de la croisée, ainsi que la frénésie amorphe de la neige. Cette absurdité semblait se moquer de lui.

Il se laissa retomber dans son lit ; draps et couvertures vinrent le submerger telle une congère, et, sous l’oreiller, sa main droite se referma sur une branche des ciseaux qu’il avait pris la veille sur le plateau de Talibe.

 

— Alors, mon vieux, comment va la tête ?

Saaz Insile lui jeta un fruit qu’il ne réussit pas à attraper au vol. Il le ramassa sur ses genoux, où il avait atterri après lui avoir heurté la poitrine.

— Mieux, répondit-il.

Insile s’assit sur le lit voisin, jeta son calot sur l’oreiller et défit le premier bouton de sa veste d’uniforme. À cause de ses cheveux noirs, coupés court et tout hérissés, son visage blême paraissait très blanc, du même blanc que le monde extérieur, au-delà des fenêtres de sa salle d’hôpital.

— On te traite bien, au moins ?

— Très bien.

— Drôlement jolie, la petite infirmière.

— Talibe ? (Il sourit.) C’est vrai ; elle est bien.

Insile rit et se laissa aller en arrière sur le lit, prenant appui sur ses bras tendus derrière lui.

— Comment ça, « bien », Zakalwe ? Formidable, tu veux dire ! On te fait ta toilette au lit ?

— Non, je peux marcher jusqu’à la salle de bains.

— Dommage ! Tu veux que je t’arrange ça en te cassant les deux jambes ?

— Plus tard, peut-être, répondit-il en riant.

Insile l’imita, puis regarda la tempête qui faisait rage dehors.

— Et ta mémoire ? Il y a du progrès ?

Il se mit à tripoter le rabat de drap blanc où avait atterri son calot.

— Non, répondit Zakalwe.

En réalité, il lui semblait bien que si, mais, sans qu’il sût très bien pourquoi, il n’avait pas envie de l’annoncer aux autres. Peut-être avait-il l’impression que cela lui porterait malheur.

— Je me revois au mess, je revois la partie de cartes… Et puis…

Alors il se souvint d’avoir vu cette chaise blanche posée à son chevet, d’avoir empli ses poumons de tout l’air du monde et hurlé comme un ouragan, jusqu’à la fin des temps, ou du moins jusqu’à ce que Talibe vienne le calmer (Livuéta ? murmurait-il ; Dar… Livuéta ?). Il haussa les épaules.

— … Et puis je me suis retrouvé ici.

— Eh bien, fit Saaz en lissant le pli de son pantalon d’uniforme, j’ai une bonne nouvelle pour toi : on a enfin réussi à enlever le sang du sol du hangar.

— J’exige qu’on me le restitue.

— D’accord, mais sans le nettoyer alors.

— Et les autres, comment vont-ils ?

Saaz poussa un soupir, secoua la tête et aplatit ses cheveux sur sa nuque.

— Ma foi, c’est toujours la même petite bande de gentils garçons. (Un haussement d’épaules.) Le reste de l’escadron… m’a chargé de te transmettre ses meilleurs vœux de guérison. Mais ce soir-là, tu leur as sérieusement tapé sur le système tu sais. (Il enveloppa le malade d’un regard attristé.) Chéra, vieille branche, personne n’aime la guerre, mais il y a tout de même d’autres façons de le dire… Tu t’y es très mal pris. Je veux dire, nous apprécions tous ce que tu as fait ; nous savons que ce n’est pas vraiment ton combat, ici, mais il me semble… Il me semble que quelques-uns d’entre nous… n’aiment pas beaucoup ça non plus. Je les entends, parfois ; tu as dû les entendre aussi. La nuit, quand ils font des cauchemars. Et puis, ils ont ce regard bien particulier, de temps en temps, comme s’ils savaient parfaitement qu’ils ne s’en sortiront pas, comme s’ils avaient tout à fait conscience d’être condamnés. Ils ont peur ; c’est dans ma tête à moi qu’ils essaieraient de loger une balle si je le leur disais en face, mais c’est bien de peur qu’il s’agit. Ils rêvent de trouver une issue qui leur permette de fuir cette guerre. Ce sont des braves, et ils ont à cœur de combattre pour leur pays, mais ils souhaitent en finir, et quand on sait les chances que nous avons de l’emporter, on ne peut pas le leur reprocher. N’importe quel prétexte honorable ferait l’affaire. Ils ne se tireraient certainement pas une balle dans le pied, ni ne sortiraient se promener dehors – par les temps qui courent ! – histoire d’en revenir avec une bonne dose d’engelures : trop d’hommes l’ont fait avant eux. Cependant, ils voudraient bien trouver une porte de sortie. Toi, tu n’es pas obligé d’être là ; pourtant, tu y es. Tu as choisi de te battre, et beaucoup d’entre eux t’en veulent pour cela ; à côté de toi, ils se trouvent lâches, car ils savent très bien qu’à ta place, ils seraient à l’heure actuelle sur la terre ferme à raconter aux filles qu’elles ont vraiment de la chance de danser avec un pilote aussi valeureux.

— Je suis désolé de les avoir fâchés. (Zakalwe effleura le pansement qui lui entourait la tête.) Mais j’ignorais totalement qu’ils étaient susceptibles à ce point-.

— Justement, ils ne sont pas susceptibles à ce point-là. (Insile fronça les sourcils.) C’est bien ça le plus bizarre. (Il se leva, gagna la plus proche fenêtre et se mit à contempler le blizzard.) Enfin, Chéra ! La moitié d’entre eux n’auraient pas hésité une seconde à t’inviter dans le hangar et à faire leur possible pour que tu y laisses une ou deux dents, mais de là à te tirer dessus ! (Il secoua la tête.) Il n’y en a pas un que je laisserais venir derrière moi avec une poignée de glaçons, mais une arme à feu… (Il secoua à nouveau la tête.) Non, je ne m’en ferais pas pour ça. Ce n’est pas leur genre, voilà tout.

— Peut-être que j’ai tout imaginé, Saaz.

Celui-ci se retourna, et Zakalwe lut sur son visage une expression inquiète qui s’atténua quand il vit que son ami souriait.

— Chéra, je le reconnais : je me refuse tout simplement à imaginer que j’aie pu me tromper sur l’un de ces hommes ; mais dans ce cas… on doit admettre qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. Et je ne vois vraiment pas qui. La police militaire non plus.

— Je ne crois pas leur avoir été d’un grand secours, avoua-t-il.

Saaz revint prendre place sur le lit voisin.

— Tu ne sais vraiment plus du tout à qui tu as parlé ensuite ? Ni où tu es allé ?

— Non.

— Tu m’as dit que tu allais en salle de briefing te renseigner sur les dernières cibles attribuées.

— C’est ce qu’on m’a dit, oui.

— Mais quand Jine a voulu t’y rejoindre pour t’inviter dans le hangar suite à tes déclarations impitoyables sur notre haut commandement et la faiblesse de notre stratégie, tu n’y étais pas.

— Je ne sais pas ce qui s’est passé, Saaz ; je suis désolé, mais je ne… (Il sentit les larmes lui picoter les yeux, et la soudaineté de leur apparition le surprit. Il reposa le fruit sur ses genoux, émit un reniflement sonore, se frotta le nez, toussa et se tapota la poitrine.) Je regrette, fit-il encore.

Insile regarda quelques instants son compagnon chercher un mouchoir dans sa table de nuit. Puis il haussa les épaules et lui fit un large sourire.

— Bon, c’est pas grave. Ça te reviendra bien un jour. C’était peut-être un cinglé de rampant qui en a eu marre parce que tu lui avais marché sur les pieds une fois de trop. Si tu tiens à te souvenir, n’insiste pas trop.

— D’accord, d’accord ; « Il vous faut du repos ». Si tu crois que je n’entends pas assez souvent ce refrain-là, Saaz !

Il reprit le fruit et le déposa sur la table de nuit.

— Qu’est-ce que je peux t’apporter, la prochaine fois ? s’enquit Insile. À part Talibe, pour laquelle j’ai moi-même des projets d’avenir, si tu refuses de saisir l’occasion.

— Rien, merci.

— À boire, peut-être ?

— Non, je me réserve pour le bar du mess.

— Des livres ?

— Non, vraiment, Saaz ; je n’ai besoin de rien.

— Zakalwe, fit l’autre en riant. Tu n’as même pas quelqu’un à qui parler, ici. Qu’est-ce que tu peux bien faire de tes journées ?

Zakalwe regarda la fenêtre, puis revint à son compagnon.

— Je réfléchis. Je réfléchis même beaucoup. J’essaie de me souvenir.

Saaz s’approcha de son lit. Il avait l’air très jeune. Il hésita, puis lui donna un petit coup affectueux sur la poitrine et jeta un coup d’œil à ses pansements.

— Ne te perds pas là-dedans, vieux pote.

L’autre resta neutre quelques instants. Puis :

— Ne t’en fais pas pour ça ; je suis plutôt bon navigateur.

 

Il y avait une chose dont il avait voulu faire part à Insile, mais il n’arrivait plus à se rappeler ce que c’était. Une espèce d’avertissement, car il savait à présent quelque chose de plus qu’avant, et cette chose réclamait… un avertissement.

Il y avait des moments où cela devenait tellement frustrant qu’il avait envie de hurler, de déchirer en deux ses oreillers bien blancs, bien dodus, de saisir la chaise blanche et de l’expédier à travers la fenêtre afin de laisser entrer le déchaînement de colère blanche qui faisait rage au-dehors.

Il se demanda de combien de temps il disposerait avant de geler sur place si jamais on ouvrait les fenêtres.

Ma foi, au moins y aurait-il une certaine logique là-dedans ; il était arrivé gelé, pourquoi ne pas repartir dans le même état ? Il envisagea un moment la possibilité d’avoir été attiré ici par une espèce de mémoire cellulaire, une affinité dont le souvenir aurait été inscrit à même la moelle de ses os ; et pourquoi ici, dans cet endroit où les batailles de grande envergure se livraient sur de titanesques icebergs tabulaires qui, engendrés par les vastes glaciers, tournoyaient comme des glaçons dans un verre à cocktail de dimensions planétaires, éparpillement d’îles gelées en perpétuel mouvement, parfois longues de plusieurs centaines de kilomètres, et qui faisaient le tour du monde entre pôle et tropique, portant sur leur large dos glacé un désert de blancheur éclaboussé de cadavres et de sang, constellé d’épaves de chars et d’avions.

Se battre pour une surface qui fondrait inévitablement un jour et qui ne fournirait jamais ni nourriture, ni minéraux, ni colonie permanente, voilà qui ressemblait fort à une caricature délibérée de la guerre, cette folie institutionnalisée. Certes, il prenait plaisir au combat, mais la manière même dont se déroulait la guerre le gênait, et il s’était fait des ennemis parmi les autres pilotes, ainsi que chez ses supérieurs, en disant ouvertement ce qu’il avait sur le cœur.

Mais au fond il savait que Saaz avait raison ; ce n’était pas à cause de ses déclarations au mess qu’on avait voulu le tuer. Du moins (fit une petite voix en lui), pas directement…

 

Le commandant de l’escadron, Thone, vint le voir ; le gratin, pour une fois.

— Ce sera tout, dit le commandant à l’infirmière depuis le seuil. (Il referma la porte en souriant, puis s’avança vers le lit ; il s’était muni de la chaise blanche. Il s’y assit et se redressa en rentrant bien le ventre.) Alors, capitaine Zakalwe, est-ce qu’on fait des progrès ?

Une senteur fleurie, le parfum préféré de Thone, parvint aux narines du blessé.

— J’espère pouvoir voler dans une quinzaine de jours, mon commandant.

L’homme ne lui avait jamais inspiré de sympathie, mais il fit l’effort de sourire bravement.

— Vraiment ? Tiens, tiens. Ce n’est pas ce que me disent les médecins, capitaine Zakalwe. Mais peut-être ne vous tiennent-ils pas le même discours qu’à moi.

Le malade fronça les sourcils.

— En vérité, il va bien me falloir encore… quelques semaines, mon commandant.

— Il se peut que nous soyons dans l’obligation de vous renvoyer chez vous, capitaine Zakalwe, reprit Thone avec un sourire hypocrite. Ou du moins de vous rapatrier à terre, puisqu’on me dit que votre pays se trouve beaucoup plus loin que cela.

— Je suis sûr de pouvoir reprendre ma place un jour ou l’autre, mon commandant. Naturellement, j’aurai désormais un dossier médical, je m’en rends bien compte, mais…

— Oui, oui, oui, coupa Thone. Enfin, nous verrons. Hmm. Bien. (Il se leva.) Y a-t-il quelque chose que je…

— Il n’y a rien que vous puissiez m’apporter…, déclara simultanément le blessé. (Puis il vit l’expression de Thone.) Je vous demande pardon, mon commandant.

— Comme je vous le disais, capitaine, y a-t-il quelque chose que je puisse vous apporter ?

Il baissa les yeux sur ses draps blancs.

— Non, mon commandant. Merci, mon commandant.

— Je vous souhaite un prompt rétablissement, capitaine Zakalwe, fit l’homme d’un ton glacial.

Zakalwe salua Thone, qui répondit d’un hochement de tête, tourna les talons et s’en fut.

Il se retrouva seul avec la chaise blanche.

Talibe arriva quelques instants plus tard, les bras croisés ; son visage rond et pâle était calme et amène.

— Essayez de dormir un peu, lui dit-elle.

Puis elle emporta la chaise.

 

Il s’éveilla au milieu de la nuit et vit briller des lumières au-dehors, entre les rafales de neige ; en se découpant sur la lueur des projecteurs, les flocons se transformaient en ombres translucides et s’amoncelaient, masse moelleuse, sur fond de lumière verticale et crue. Dans la nuit noire, la blancheur qui régnait au-delà en était réduite à un compromis de gris.

Il s’éveilla avec dans les narines un parfum de fleurs.

Il passa la main sous son oreiller et la referma sur l’unique branche de la paire de ciseaux effilés.

Il se remémora le visage de Thone.

Il se remémora la salle de briefing et les quatre commandants ; ils l’avaient invité à prendre un verre en prétendant qu’ils avaient à lui parler.

Ils s’étaient tous regroupés dans la chambre occupée par l’un d’entre eux – il ne se rappelait pas les noms, mais cela viendrait bientôt ; déjà il se sentait en mesure de les reconnaître. Et là, ils l’avaient interrogé sur ses déclarations au mess, qu’on leur avait rapportées.

Alors, légèrement ivre, persuadé de se montrer très malin, croyant bien mettre le doigt sur quelque chose d’intéressant, il leur avait dit ce qu’ils voulaient entendre, à ce qu’il lui semblait, et non ce qu’il avait déclaré aux autres pilotes.

Et il avait découvert un complot. Lui, il voulait que le nouveau gouvernement tienne ses promesses populistes et mette fin à la guerre. Eux, ils voulaient fomenter un coup d’État militaire, et ils avaient besoin pour cela de quelques bons pilotes.

Ivre de boisson et d’excitation, il avait tout fait pour les convaincre qu’il était de leur côté ; puis il était allé tout droit trouver Thone. Thone, qui était sévère, mais juste ; Thone, qui était désagréable, mesquin, vaniteux, parfumé, mais connu pour ses convictions progouvernementales. (Saaz Insile lui avait pourtant appris un jour que Thone était progouvernemental avec les pilotes et antigouvernemental avec leurs supérieurs.)

Et l’expression qu’avait eue Thone…

Pas sur le moment, non ; plus tard… Après lui avoir demandé de garder le silence : il soupçonnait l’existence de traîtres parmi les pilotes. Alors il lui avait ordonné d’aller se coucher comme si de rien n’était ; et lui, il avait obéi. À cause, peut-être, d’un reste d’ivresse, il s’était réveillé une seconde trop tard ; ils étaient là, ils lui collaient un chiffon humide sur la figure en le laissant se débattre. Mais il avait bien fallu qu’il respire, au bout d’un moment, et les vapeurs asphyxiantes avaient eu raison de lui.

Il se sentit traîné dans les couloirs ; ses pieds en chaussettes glissaient sur le carrelage ; il avait un homme de chaque côté. Ils débouchèrent dans l’un des hangars, et quelqu’un s’approcha des boutons d’appel de l’ascenseur ; il ne voyait toujours que très vaguement le sol devant lui, et n’arrivait pas à lever la tête. Mais il sentait une odeur de fleurs montant de l’homme qui se tenait à sa droite.

La double porte en coupole s’ouvrit dans un craquement au-dessus de leurs têtes ; il entendit le vacarme de la tempête, le hurlement aigu qui émanait des ténèbres. Ils le traînèrent vers l’ascenseur.

Il se raidit, pivota sur lui-même et empoigna Thone par le col ; alors il distingua son visage : horrifié, affolé. Il sentit l’homme qui se tenait du côté opposé l’attraper par son bras libre ; il se tortilla, dégagea son autre bras de l’étreinte de Thone, et vit un pistolet dans le holster du commandant.

Il s’en empara ; il se souvint d’avoir hurlé, de s’être enfui, mais d’avoir alors perdu l’équilibre. Il avait voulu tirer, mais l’arme avait refusé de fonctionner. Des lumières clignotaient à l’autre bout du hangar. Pas chargé, il n’est pas chargé ! criait Thone à l’intention de ses comparses. Ils reportèrent leur attention sur le fond du hangar ; quelques avions garés là leur bouchaient la vue, mais il y avait quelqu’un, quelqu’un qui criait ; il était question des portes du hangar, qu’on avait ouvertes en pleine nuit avec les lumières allumées.

Il n’eut pas le temps de voir qui lui avait tiré dessus. Un marteau s’abattit sur sa tempe et il n’y eut plus rien, jusqu’à la chaise blanche.

La neige bouillonnait furieusement derrière les fenêtres inondées de lumière.

Il la contempla jusqu’à l’aube, sans cesser de se souvenir.

 

— Talibe, voulez-vous faire parvenir un message au capitaine Saaz Insile ? Dites-lui que j’ai un besoin urgent de le voir ; je vous en prie, envoyez un message à mon escadron, d’accord ?

— Bien sûr, pas de problème. Mais d’abord, votre médicament.

Il serra la main de la jeune fille dans la sienne.

— Non, Talibe. Téléphonez d’abord à l’escadron. (Il lui fit un clin d’œil.) Je vous en prie, faites ça pour moi.

Elle secoua la tête.

— Quelle peste !

Elle repassa la porte.

 

— Alors, il va venir ?

— Il est en permission, l’informa-t-elle en prenant sa planchette pour y noter le médicament qu’il allait prendre.

— Merde !

Saaz ne lui avait jamais parlé de ça.

— Capitaine, voyons ! le morigéna-t-elle en secouant un petit flacon.

— La police, Talibe. Appelez la police militaire. Tout de suite. C’est très urgent.

— D’abord le médicament, capitaine.

— Alors, dès que je l’aurai pris, d’accord ?

— Promis. Ouvrez grand.

— Aaaah…

 

Il maudit Saaz d’être parti en permission, et le maudit doublement de ne pas l’en avoir averti. Et ce Thone, quel culot ! Venir ainsi lui rendre visite, s’enquérir de ses progrès, voir si la mémoire lui revenait !

Et si elle lui était effectivement revenue ? Que se serait-il passé ?

Il chercha à tâtons les ciseaux sous l’oreiller ; ils étaient toujours là, froids et pointus.

 

— Je leur ai dit que c’était urgent ; ils ont répondu qu’ils se mettaient immédiatement en route, fit Talibe en revenant, mais cette fois-ci sans la chaise. (Elle tourna la tête vers les fenêtres, derrière lesquelles la tempête continuait de souffler.) Et je suis censée vous donner quelque chose pour vous maintenir éveillé. Ils vous veulent bien vif.

— Mais je suis vif ! Et bien éveillé !

— Chut ! Prenez ça.

Il s’exécuta.

Il s’endormit en serrant dans sa main les ciseaux sous l’oreiller tandis que, dehors, la blancheur s’étalait à perte de vue et finissait par pénétrer le verre, couche après couche, selon un processus d’osmose discrète, et venait graviter tout naturellement autour de sa tête, tournoyer en orbite tout autour de lui et se joindre au tore blanc du pansement, puis le désintégrer, le dérouler et en déposer les restes dans un coin de la pièce, où étaient rassemblées les chaises blanches qui complotaient à voix basse, avant de se refermer lentement sur son crâne en serrant de plus en plus fort, sans cesser de se livrer à cette danse de flocons insensée, de plus en plus rapide, à mesure que ceux-ci se rapprochaient jusqu’à prendre la place du pansement, froids et rigides sur sa tête enfiévrée et – ayant trouvé la blessure soignée – jusqu’à s’insinuer sous la peau, puis dans son crâne, et se poser, glaciaux, craquants, cristallins, à l’intérieur de son cerveau.

 

Talibe déverrouilla les portes de la salle et fit entrer les officiers.

— Vous êtes sûre qu’il est inconscient ?

— Je lui ai administré le double de la dose habituelle. S’il ne dort pas, c’est qu’il est mort.

— On sent encore le pouls. Prenez-le par les bras.

— D’accord… Oh, hé ! Regardez ça !

— Ça alors !

— C’est ma faute. Je me demandais où avaient bien pu passer ces ciseaux. Désolée.

— Vous vous êtes bien débrouillée, petite. Vous feriez mieux de partir, maintenant. Merci. Nous n’oublierons pas ce que vous avez fait.

— D’accord, mais… Euh…

— Quoi ?

— Ça va… ça va aller vite, n’est-ce pas ? Il n’aura pas le temps de se réveiller ?

— Mais non. Ne vous en faites donc pas pour ça. Il ne se rendra compte de rien. Il ne sentira rien du tout.

Il s’était réveillé dans la neige froide, ramené à la vie par une explosion glaciale qui faisait rage à l’intérieur de lui et remontait vers la surface, lui perçant la peau par chaque pore et poussant vers l’extérieur ses hurlements aigus.

Il s’éveilla donc, et comprit qu’il était en train de mourir. Le blizzard lui avait déjà engourdi tout un côté du visage. Il avait une main collée à la neige dure tassée sous lui. Il portait toujours le pyjama d’hôpital réglementaire. Le froid n’était pas froid ; c’était une souffrance du genre paralysant qui le dévorait sur tous les fronts.

Il leva la tête et regarda autour de lui. Quelques mètres de neige en terrain plat, le tout éclairé par une lumière qui pouvait être celle de l’aube. Le blizzard s’était légèrement calmé, mais restait tout de même violent. La dernière fois qu’il avait entendu annoncer la température extérieure elle était de moins dix ; néanmoins, à cause du vent il faisait beaucoup, mais alors beaucoup plus froid que cela. Sa tête, ses mains, ses pieds, ses parties génitales… tout lui faisait mal.

C’était le froid qui l’avait réveillé. Forcément. Et tout de suite ou presque, sinon il serait déjà mort. Sans doute venait-on tout juste de l’abandonner. S’il pouvait trouver dans quelle direction ils étaient partis et suivre leurs traces…

Il essaya de bouger, mais en vain. Il hurla intérieurement afin de rassembler la plus formidable dose de volonté dont il ait jamais tenté de faire preuve… et ne réussit qu’à rouler sur lui-même et se retrouver sur son séant.

L’effort fourni avait été presque trop grand ; il dut poser ses mains derrière lui pour se stabiliser. Il les sentit geler instantanément et sut qu’il n’arriverait jamais à se relever.

Talibe…, songea-t-il, mais en un clin d’œil cette pensée fut emportée par le blizzard.

Oublie Talibe. Tu es en train de mourir. Il y a des choses plus importantes.

Il riva ses yeux aux profondeurs laiteuses du blizzard qui se ruait sur lui et fonçait de part et d’autre comme un ensemble d’infimes étoiles molles massées les unes contre les autres et précipitées en tous sens. Il se sentit le visage piqueté par un million de minuscules aiguilles brûlantes, mais il n’y eut bientôt plus de sensation du tout.

Dire que j’ai fait tout ce chemin, songea-t-il, pour venir mourir ici, dans une guerre qui n’est même pas la mienne ! Comme tout cela lui paraissait grotesque à présent. Zakalwe, Éléthiomel, Staberinde, Livuéta, Darckense… Les noms se dévidaient dans sa tête avant d’être chassés par le froid insidieux de la bourrasque hurlante. Il sentit son visage se ratatiner, sentit le froid creuser sa peau et ses globes oculaires jusqu’à atteindre sa langue, ses dents et ses mâchoires.

Il arracha une de ses mains à la neige, derrière lui ; déjà le froid anesthésiait sa paume écorchée. Il ouvrit sa veste de pyjama, en arracha les boutons et exposa au froid la petite cicatrice plissée qui marquait sa poitrine, juste au-dessus du cœur. Puis il posa la main sur la glace, derrière son dos, et renversa la tête. Il crut sentir ses os crisser dans son cou et cliqueter à chaque mouvement de sa tête, comme si le froid refermait son étreinte sur ses articulations.

— Darckense…, murmura-t-il à l’adresse des courants tourbillonnants et glacés de la tempête.

Alors il vit une femme venir tranquillement vers lui à travers la bourrasque.

Elle marchait sur la surface de la neige tassée, chaussée de hautes bottes noires et vêtue d’un long manteau à col et manchettes de fourrure noire, un petit chapeau sur la tête.

Son visage et son cou n’étaient nullement protégés du froid, pas plus que ses mains dépourvues de gants. Elle avait un visage ovale et étiré, un regard sombre et profond. Elle venait sans difficulté dans sa direction, et la tempête semblait se diviser dans son dos. Il se sentit tout à coup à l’abri de quelque chose, quelque chose de plus haut que cette femme de haute taille, et une espèce de sensation de chaleur parut s’infiltrer sous sa peau, partout où celle-ci faisait face à l’inconnue.

Il ferma les yeux. Puis il secoua la tête, ce qui lui fit un peu mal, mais tant pis. Enfin, il rouvrit les paupières.

Elle était toujours là.

Elle avait posé un genou sur la neige, juste devant lui, et croisé les mains sur l’autre genou, sur le tissu de la jupe ; leurs visages étaient au même niveau. Il voulut mieux voir et, encore une fois, dégagea de force sa main prisonnière de la neige (elle était engourdie, mais quand il l’amena devant lui, il vit qu’en l’arrachant il en avait mis la chair à nu). Il chercha alors à toucher son visage, mais elle lui prit la main dans les siennes. Sa peau était tiède. Il crut n’avoir jamais ressenti chaleur plus merveilleuse.

Il éclata de rire ; elle tenait toujours sa main, le blizzard s’écartait de chaque côté de sa personne et son souffle formait un nuage dans l’air.

— Bon sang, fit-il. (Il se rendit compte que le froid et la drogue qu’ils lui avaient donnée alourdissaient son élocution.) Moi qui ai été athée toute ma vie, voilà que ces crédules débiles avaient raison depuis le début ! (Il toussa, le souffle rauque.) Ou bien est-ce que vous les prenez eux aussi par surprise en ne vous montrant pas à eux ?

— Vous me flattez, monsieur Zakalwe, répondit la femme d’une superbe voix grave et sensuelle. Je ne suis ni la Mort ni quelque Déesse imaginaire. Je suis aussi réelle que vous… (Elle passa son pouce long et fort sur sa paume écorchée et sanglante.) En un peu plus chaud, peut-être.

— Oh, je ne doute pas que vous soyez réelle. Je le sens très…

Sa voix s’éteignit ; il regarda derrière le dos de la femme. Une forme gigantesque apparaissait progressivement au cœur du tourbillon neigeux. Elle était d’un blanc grisâtre, comme la neige, mais un ton plus foncé ; silencieuse, immense et immobile, elle vint se suspendre juste derrière la femme. La tempête parut mourir tout autour d’eux.

— Voici ce qu’on appelle un module à douze passagers, Chéradénine. Il est venu vous chercher, si du moins c’est ce que vous voulez. Il vous emportera sur la terre ferme, si vous le désirez. Ou bien plus loin encore, en notre compagnie, si vous préférez.

Il était las de battre des paupières et de secouer la tête. Il allait falloir faire taire aussi longtemps que nécessaire ce qui, quelque part en lui, souhaitait déraisonnablement aller jusqu’au bout de la partie. Quel rapport avec le Staberinde et la Chaise, il n’aurait su le dire, du moins pas encore, mais si c’était bien de cela qu’il s’agissait (et de quoi pouvait-il s’agir d’autre ?) alors il était parfaitement inutile, dans l’état d’affaiblissement, voire d’agonie, où il se trouvait, de chercher à lutter. Advienne que pourra, se dit-il. Je n’ai pas tellement le choix, de toute façon.

— En votre compagnie ? répéta-t-il en s’efforçant de ne pas rire.

— Oui, avec nous. Nous aimerions vous confier un travail. (Elle sourit.) Mais si nous poursuivions cette conversation dans un endroit mieux chauffé, qu’en dites-vous ?

— Mieux chauffé ?

Elle eut un brusque et unique mouvement de tête.

— Je veux parler du module.

— Ah oui, acquiesça-t-il.

Le module. Il essaya de détacher son autre main de la neige, mais n’y réussit pas.

Il reporta son regard sur elle ; elle venait de prendre un flacon dans sa poche. Elle passa un bras dans son dos et en versa le contenu sur sa main, qui se réchauffa et se détacha en fumant un peu.

— Ça va ? fit-elle en lui prenant la main et en l’aidant doucement à se relever. (Elle sortit des chaussons de sa poche.) Tenez.

— Oh ! (Il rit.) Oui, merci.

Elle passa son bras sous celui de l’homme et glissa une main sous l’épaule opposée. Elle était forte.

— Je vois que vous connaissez mon nom, dit-il. Peut-on savoir le vôtre, si ce n’est pas faire preuve de trop d’impertinence ?

Elle sourit. Ils avancèrent sous les flocons de neige qui, rares à présent, tombaient tout doucement, en direction de la forme imposante aux flancs aplatis qu’elle avait appelée le « module ». Il s’était instauré un tel calme que – malgré la tempête qui hurlait tout près d’eux – il entendait la neige craquer sous leurs pieds.

— Mon nom, répondit-elle, est Rasd-Coduresa Diziet Embless Sma da’ Marenhide.

— Sans blague !

— Mais vous pouvez m’appeler Diziet.

— Ah, bon, fit-il en riant. Diziet.

Ils pénétrèrent (elle d’un pas ferme, lui en trébuchant à demi) dans la chaleur orangée de l’intérieur du module. Les parois semblaient faites de bois poli à l’infini, les sièges étaient recouverts de peaux tannées et le sol tapissé de fourrure. Le tout répandait un parfum de jardin de montagne.

Il voulut s’emplir les poumons de cet air tiède et odorant. Puis il vacilla et, abasourdi, se retourna vivement vers sa compagne.

— Mais c’est pour de vrai ! souffla-t-il.

S’il avait eu assez de souffle, il en aurait crié.

La femme hocha la tête.

— Bienvenue à bord, Chéradénine Zakalwe.

Il s’évanouit.

L Usage Des Armes
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